Festival Poesia : Alain Badiou ou les « 4 Mai 68 »

Quelle belle entrée en matière pour la deuxième édition du Festival Poésia ! Sur le thème des R (évolutions) La Factorie a démarré son Festival sur les chapeaux de roue mercredi 23 mai avec un clin d’œil à Mai 68. La conférence d’Alain Badiou, sur « Les 4  Mai 68 », émaillée de lectures de documents de l’époque, devant une nombreuse assemblée à la Maison de la Jeunesse et des Associations (MJA) s’est en effet terminée en standing ovation !
En seconde partie de soirée, le public est entré dans l’univers libertaire des hippies avec les élèves du conservatoire de Rouen et a partagé la poésie de cette révolutionnaire maison d’édition  MaelstrÖm, fil rouge du Festival. Immersion.

Conférence Alain Badiou
Patrick Verschueren, responsable artistique de La Factorie, présente le philosophe Alain Badiou

Pour Alain Badiou, philosophe, romancier et dramaturge français d’inspiration marxiste, Mai 68 n’est pas une révolte homogène qui a secoué le pays un mois durant, laissant ses empreintes sur la société. Il distingue  en effet « 3 Mai 68 » hétérogènes qui génèrent un « 4ème Mai 68 » qui couvrira une dizaine d’années :

Révolte de la jeunesse étudiante

La révolte  de la jeunesse étudiante tout d’abord, la plus spectaculaire, la plus connue, celle dont il reste le plus d’images. Elle est en fait un soulèvement mondial des étudiants en Chine, au Mexique, aux USA… Paradoxalement en France elle concerne peu de jeunes, les étudiants dans les années 60 n’étaient que 10 à 15 % à passer leur Bac et étaient séparés de la masse populaire. Cette révolte estudiantine a pour elle la force de l’idéologie, l’acceptation de la violence comme moyen et donne la couleur de Mai 68.

Alain Badiou se souvient « d’une vision massive, que je ne peux oublier… étonnante. »

La grève Générale

Le 2ème Mai 68 est la plus grande grève générale à ce jour de l’histoire de France. Elle se structure autour des grandes usines d’Ile de France et de Normandie et est gérée plus classiquement par les syndicats. Déclenchée par des éléments extérieurs des organisations syndicales, ces dernières s’y sont ralliées. Les jeunes ouvriers,   adeptes des « grèves sauvages » dès 1967, ont anticipé les mouvements de la jeunesse instruite en pratiquant la radicalité, la séquestration de la hiérarchie, l’usage systématique de l’occupation des usines  couvertes de drapeaux rouges. Alain Badiou se souvient « d’une vision massive, que je ne peux oublier… étonnante. »
Si les ouvriers acceptent aussi la violence, la longue durée (plus de 6 mois) et l’inquiétude de « l’après mouvement », le questionnement « qu’est-ce qu’on va devenir », le pessimisme dans le devenir mouvement même « après la grève quelle suite va-t-on donner à l’action ?» diffèrent totalement de la spontanéité étudiante.

Le Mai libertaire

Le 3ème Mai 68 est ce qu’Alain Badiou nomme le « Mai Libertaire », qui porte sur la question de la transformation des mœurs, de la liberté des droits et de la parole publique, sur l’émancipation et le droit des femmes et des homosexuels. Elle est esthétique et idéologique, quelque fois anarchiste, snob et festive. C’est elle qui a laissé le plus de traces dans la société car ses revendications étaient générales et non pour un groupe donné (étudiants, ouvriers…). Elle a influé sur l’état général des mœurs, dans les rapports entre hommes et femmes et a abouti à des réformes effectives contrairement aux deux autres, même s’il faut attendre le milieu des années 70 pour cela (loi sur l’avortement notamment).

Alain Badiou
Alain Badiou

Le registre historique et symbolique de ces 3 Mai 68 diffèrent, comme 3 fils différents, avec quelque fois des affrontements internes,  qui se croisent à un moment donné de l’histoire, dans un besoin de renouveau, dans le NON au gouvernement : pour les étudiants la temporalité est courte, concerne la consommation,l’éducation et le lieu symbolique en est la Sorbonne ; pour les ouvriers la temporalité est longue, la perspective incertaine du mouvement même inquiète et le symbole en est l’usine Renault de Boulogne Billancourt ; la 3ème est intellectuelle, anarchiste et libertaire, sur une temporalité encore plus longue et sur des thématique générales, son symbole en est le théâtre de l’Odéon qui fut la principale tribune du “tout est possible”, l’espace  expérimental de la prise de la parole.

Ces différences font que l’on parle de « Mai 68 », cette intersection temporelle des luttes et questionnements sans lieu unique symbolique. Mai 68 est une date et non un contenu symbolique comme peut l’être par exemple la prise de la Bastille qui symbolise toute la Révolution Française dans l’inconscient collectif.

Alain Badiou
Alain Badiou

« Il y a un mystère Mai 68 »

Si nombre d’historiens et philosophes s’accordent sur ces 3 Mai 68, Alain Badiou parle d’un 4ème Mai 68. Moins lisible, moins clair, qui s’est développé dans le temps. Ce mystérieux 4ème Mai 68 qu’il faudrait nommer « la décennie 68 » est une suite à la révolte qui entérine la fin de la vieille conception de faire de la politique et qui propose la recherche, le foisonnement d’expériences sur cette thématique.

La conscience que l’émancipation peut devenir une réalité sociale

Ce 4ème Mai 68 diffère des 3 autres dans son questionnement « Qu’est-ce que la politique ? », et    la possibilité que l’émancipation d’un agent (peuple, prolétaires…) devienne réalité sociale ; c’est la rupture avec les partis, les syndicats… et de leur nécessité. En mai 68 les drapeaux rouges couvraient les usines, étaient aux fenêtres, et même fin mai de celles des bourgeois. Ce drapeau était un langage commun mais en était aussi paradoxalement aussi la fin,  comme quelque chose  en train de mourir (mise en cause massive des organisations de la gauche, de la hiérarchie du travail et, même s’il en reste peu de traces, de la démocratie représentative). Le mot d’ordre final en a été : « Elections, piège à cons ». Un mois plus tard, des élections est sortie la chambre la plus réactionnaire du parlement.

Une décennie de recherches sur la politique

Pendant une décennie, qu’Alain Badiou nomme « les 10 années rouges », la  recherche intellectuelle d’une autre pratique de la politique a été intense, relayant l’idée que la vraie nouveauté de Mai 68 a été de dire que « l’impossible bouleversement des places est possible », avec la conviction que ce mouvement a été une grande chose mais un échec et qu’à partir de là une nouvelle conception de la politique devait être créée. Avec l’élection de François Mitterrand s’achève cette période. La gauche revient à sa place mais est toujours sur la brèche. Les catégories ont changé, les partis, les organisations syndicales sont en difficultés mais c’est le même schéma : le maintien et la persistance d’un monde soumis au profit et à l’intérêt privé.

Pour Alain Badiou 50 ans après mai 68 « il est temps de faire le bilan de la gauche du XXème siècle, son propre bilan, pas seulement de celui de l’adversaire capitaliste et de citer St Just qui, en 1793-1794 pose la question capitale : « Que veulent ceux qui ne veulent ni la vertu ni la terreur : ils veulent la gauche ! »  et Alain Badiou de conclure « la vertu actuelle est d’avoir le courage de dire que la victoire de l’adversaire n’est pas définitive ! »

Retrouvez les photos de la conférence et du Cabaret Hippie dans notre galerie photos

Concert hippie
Cabaret Hippie par les élèves du conservatoire de Rouen, sous la direction de Patrick Verschueren.

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