Une certaine idée de Val-de-Reuil

Le Général de Gaulle avait deux ou trois défauts qui, peu à peu, le rendirent antipathique à une majorité de ses contemporains. Il était, par sa naissance, par son éducation, par son milieu, un fieffé conservateur, endurci par les épreuves, affligé d’un caractère rancunier, parfois cruel. Ses opposants éprouvèrent la dureté, pour ne pas dire la brutalité, de ses méthodes, son goût pour la vengeance, davantage encore que pour la revanche, son peu d’inclination pour la piété, la miséricorde, l’indulgence. Ses ennemis, ceux de 1940 ou, même, ceux de 1958, ceux de 1944 et, sur un autre registre, ceux de 1962, n’incitaient guère à la compréhension ou à la clémence. Il est vrai. Plus d’une fois il fut leur cible. Il n’empêche. Soldat valeureux, mais politicien rusé, son esprit alerte jusque dans la vieillesse était au service, à la fois, de la République qu’il releva, en la plaçant à l’ombre de sa gloire, et d’une intelligence imbue d’elle-même, obsédé par la postérité de son oeuvre, par la trace qu’il laisserait dans l’Histoire. Tout était chez lui paradoxe et, peut-être, est-ce aussi en cela qu’il était exceptionnel.

Marcher seul ou presque, avec l’aide de camp Flohic et tante Yvonne, dans les landes de la verte Irlande pour oublier, furieux et méprisant, le congé que le peuple lui avait donné, ne manquait pas de panache, de désintéressement, de cran. Serrer la main du dictateur Franco par la simple curiosité de n’avoir pu le rencontrer auparavant relevait d’une insupportable légèreté que, à un autre, on n’aurait pas pardonnée. La démocratie autour de la méditerranée s’accommode mal, en général, des fraternités de képi et des amitiés de casernes. Lillois devenu lorrain, il aurait pu y songer.

Mais, quand il s’agissait, non plus de lui, mais de la France, il avait quasi invariablement conscience de ce qu’impose l’honneur et qu’exige la grandeur. De la générosité, du courage, des idées. Ajoutons-y un don pour l’écriture et le sens de la formule qui lui permirent de s’affirmer avec talent comme le premier commentateur et le meilleur mémorialiste de ses propres actes. Un peu comme si Jésus s’était passé des évangélistes ou Napoléon de Las Cases. Directement du producteur au consommateur. Des gestes à la Geste. Le genre incite, dans la plupart des cas, sauf schizophrénie grave, l’auteur à faire preuve d’une grande écoute respectueuse, voire d’une particulière bienveillance à l’égard de son principal personnage. L’homme de Colombey n’en manqua pas et se donna dans la plupart des cas le beau rôle, s’attribuant dans ses mémoires ce que l’Histoire ne lui avait pas donné, s’y montrant ingrat pour ceux qui l’avaient aidé à Londres ou à Alger. Au fil de la plume comme au fil de l’épée, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Quand bien même il n’aurait pas toujours été à la hauteur de la légende qu’il s’est forgée, ses mots, parce qu’ils étaient forts, parce qu’ils étaient drôles, parce qu’ils étaient vrais, tournent encore dans nos têtes : l’Europe et les « cabris », Mai 68 et la « chienlit », le « quarteron » et les putschistes. Chacun s’en souvient.

La résistance en politique, pour De Gaulle, c’était d’avoir su faire face «avec un mépris de fer (…) aux dérisoires imputations (…) dont nous fûmes comblés, sans jamais en être accablés (…) par la tourbe des intrigants mal satisfaits ».

Pourtant, c’est une autre phrase de l’homme du 18 juin qui me revient quand je songe aux difficultés que vivent les Rolivalois et leur municipalité. Prononcée à Épinal, en septembre 1946, si mes souvenirs sont exacts, elle veut décrire ce qu’est l’esprit de résistance. La résistance en politique, pour De Gaulle, c’était d’avoir su faire face «avec un mépris de fer (…) aux dérisoires imputations (…) dont nous fûmes comblés, sans jamais en être accablés (…) par la tourbe des intrigants mal satisfaits ». J’aime cette définition et, parce qu’un respect infini est dû à eux qui ont souffert ou combattu, sans évidemment m’imaginer une seule seconde que nous affrontons des événements semblables à ceux qui divisèrent, en parts très inégales, la France entre héros, collaborateurs et attentistes, je la fais mienne.

Nous avons été « comblés » de cadeaux empoisonnés depuis quelques années. La manière honteuse avec laquelle le département a fermé le collège Pierre Mendès-France restera dans les annales de l’infamie. L’agglomération, de son côté, a pour Louviers la passion anachronique d’une jeune fille timide pour un vieillard fatigué tentant quotidiennement de raviver sa flamme sous une pluie de millions. Sans se rendre compte de son hostilité, elle nous montre que nous ne sommes pas son fils préféré. Les responsables de la région ont choisi d’aider prioritairement leurs amis et ne font pas mystère de ne pas compter les quartiers de grande précarité parmi ces derniers. Il n’est pas jusqu’au Gouvernement qui n’a pour la politique de la Ville, comme pour celles du logement et du bâtiment, qu’une attention limitée que vient à peine tempérer « le plan anti pauvreté».

Notre fierté est donc de ne pas en être « accablés » et de continuer à marcher, à réussir, à avancer.

Notre fierté est donc de ne pas en être « accablés » et de continuer à marcher, à réussir, à avancer. Une rentrée réussie avec un record historique battu pour ce qui est des élèves accueillis, des dizaines de logements qui surgissent un peu partout, mieux conçus, mieux construits que ceux d’avant, attirant des jeunes, des familles, des propriétaires, un centre commercial qui se développe en entrée de Ville, un autre qui va se construire sur l’Îlot 14, des entreprises qui s’agrandissent ou s’implantent, nous maintenant en tête des territoires industriels de l’Eure, un nombre inédit de boulangeries, une école, les nouveaux cerfs-volants, et un complexe sportif, le nouveau Léo Lagrange, dont l’ANRU vient d’autoriser le début des travaux, une démographie dynamique, l’axe structurant qu’entreprend l’intercommunalité et une alternative à l’Avenue des falaises par la voie de l’Orée dont le chantier commence, une vie associative, sportive et culturelle exceptionnelle.

Où veux-je en venir ? A la certitude que, en dépit des médiocres et des méchants, je me suis toujours fait une « certaine idée » de Val-de-Reuil et que, si nous sommes travailleurs, unis et fiers de notre identité, rien ne peut nous arriver ? Ce serait probablement prétentieux. Ce ne serait pas totalement inexact.

Marc-Antoine JAMET
Maire de Val-de-Reuil.

L’éditorial


 

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